Quelques jours avant de s’éteindre, le 26 octobre 2025 à Goma, Mgr Faustin Ngabu avait choisi de livrer un message sans détour sur l’une des questions les plus sensibles et les plus explosives de l’est de la République démocratique du Congo : l’identité des Banyamulenge et leur citoyenneté congolaise. Ces paroles, laissées comme un testament moral, continuent de résonner avec force dans une région où la stigmatisation, la violence et les récits contradictoires demeurent une réalité quotidienne.
Dans ses dernières prises de parole publiques, l’évêque n’a pas cherché à atténuer ses mots. Il a posé un diagnostic clair sur ce qu’il considérait comme la racine profonde du conflit : le mensonge érigé en vérité officielle. Pour Mgr Ngabu, les armes ne sont souvent que la conséquence visible d’un problème plus ancien et plus dangereux : la manipulation de l’histoire et du langage pour exclure certaines communautés de l’imaginaire national.
Parlant explicitement des Banyamulenge, il rejetait catégoriquement l’idée selon laquelle cette communauté serait étrangère au Congo. Il rappelait que leur présence sur les hauts plateaux est antérieure aux découpages coloniaux, bien avant les conférences européennes qui ont morcelé l’Afrique. Présenter les Banyamulenge comme des arrivants récents, notamment dans les années 1960, relevait selon lui d’une falsification historique lourde de conséquences. Une falsification qui, expliquait-il, sert à justifier la remise en cause de leur appartenance nationale.
Mais son message dépassait largement la seule question des Banyamulenge. Mgr Ngabu insistait sur une vérité qu’il considérait comme non négociable : la nationalité congolaise a été acquise collectivement, le 30 juin 1960, sans distinction d’ethnie ou d’origine. Avant cette date, rappelait-il, toutes les populations vivant sur le territoire étaient juridiquement des sujets belges. Aucun groupe n’a donc reçu plus de droits qu’un autre au moment de l’indépendance.
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Pour l’évêque, permettre à une ethnie de contester la nationalité d’une autre revenait à franchir une ligne morale dangereuse. Lorsque la citoyenneté devient une arme politique, avertissait-il, la discrimination devient acceptable, puis la violence devient justifiable. C’est ainsi que des communautés entières se retrouvent transformées en suspects permanents, puis en cibles.
Dans ce qu’il considérait comme un appel direct à la responsabilité, Mgr Ngabu interpellait également les journalistes, les intellectuels et les leaders d’opinion. Face à ceux qui affirmaient qu’il n’existerait pas de Congolais tutsi ou de Munyarwanda congolais, il posait une question simple mais implacable : « Sur quoi vous basez-vous ? » Pour lui, parler sans preuves sur des sujets aussi sensibles relevait d’une irresponsabilité morale grave, capable d’alimenter la haine et de coûter des vies humaines.
Il rappelait que dans les sociétés fragilisées des Grands Lacs, les mots précèdent souvent les armes. Un récit martelé dans l’espace public peut préparer le terrain à la violence bien avant le premier coup de feu. C’est pourquoi il appelait à une éthique rigoureuse du discours public : vérification des faits, respect de la vérité historique et refus des généralisations qui déshumanisent.
Ces propos, prononcés peu avant sa mort en 2025, ne visaient pas à opposer une communauté à une autre. Ils s’inscrivaient dans une vision plus large du Congo : celle d’un pays où l’égalité citoyenne est un principe fondamental, et non une faveur accordée ou retirée selon les contextes politiques. Pour Mgr Faustin Ngabu, aucune paix durable ne pouvait être construite tant que certaines communautés seraient traitées comme des intruses sur leur propre terre.
Aujourd’hui, ces paroles prennent toute leur dimension. Elles constituent un héritage moral puissant et un avertissement clair : nier la citoyenneté, c’est préparer la violence ; restaurer la vérité, c’est protéger des vies humaines. En parlant des Banyamulenge jusqu’aux derniers jours de sa vie, Mgr Faustin Ngabu a laissé à la nation congolaise un message sans équivoque : aucune réconciliation n’est possible sur le mensonge, aucune unité durable ne peut naître de l’exclusion.
Son silence, depuis le 26 octobre 2025, n’a pas éteint sa voix. Elle continue d’interpeller le Congo, ses dirigeants, ses médias et ses citoyens, à choisir la vérité comme fondement de la paix.






