- Minembwe sous blocus : une asphyxie organisée et la menace d’un désastre annoncé
Depuis plusieurs mois, l’enclave de Minembwe, perchée sur les hauts plateaux du Sud-Kivu, vit sous un blocus dont l’ampleur et la rigueur dépassent largement le cadre d’une simple opération militaire. Ce qui s’y déroule s’apparente davantage à une stratégie d’asphyxie collective, planifiée et méthodique.
L’armée burundaise a déployé un dispositif massif, estimé à plus de douze mille soldats répartis sur près de soixante-dix positions clés, depuis les hauteurs de Bijomba jusqu’aux vallées de Kicule, de Rugezi à Babengwa. Un réseau d’encerclement si dense qu’il a transformé Minembwe en une enclave coupée du monde.
Par sa disproportion et par son caractère systématique, cette présence militaire laisse peu de doute quant à son intention réelle : affaiblir durablement la population déjà éprouvée, et démanteler progressivement tout tissu social, économique et humain.
Les bombardements répétés confirmés non seulement par de nombreuses sources locales mais aussi, fait rarissime, par le porte-parole de l’armée burundaise, le général Gaspard Baratuza, lors d’une interview à la BBC ont instauré un climat constant de terreur. Ces frappes, combinées au verrouillage complet des voies d’accès, ont rendu impossible l’acheminement de la moindre aide humanitaire : nourriture, médicaments, matériel médical, tout est bloqué avant d’atteindre les collines assiégées.
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Les conséquences sont dramatiques. Les blessés graves, les femmes enceintes en situation critique ou les malades nécessitant des soins urgents n’ont plus aucune possibilité d’évacuation. Beaucoup meurent faute d’assistance, dans un silence contraint.
À cette suffocation humanitaire s’ajoute la destruction quasi systématique des villages environnants. Selon plusieurs estimations, plus de 85 % des hameaux banyamulenge auraient déjà été incendiés ou réduits en cendres, rappelant les tactiques de la terre brûlée utilisées dans d’autres conflits marqués par une dimension identitaire. Le bétail, essentiel à l’économie pastorale locale, a été volé ou dispersé, privant des familles entières de leur capital et de leur moyen de subsistance. Tout indique une stratégie d’appauvrissement programmée, destinée à pousser à l’exil ou à rendre la population totalement dépendante.
Pour comprendre la profondeur de cette crise, il est indispensable de la replacer dans le discours idéologique qui l’accompagne. Lorsque le président du Burundi nie publiquement la nationalité congolaise des Banyamulenge, pourtant installés depuis des générations dans les hauts-plateaux du Sud-Kivu, il s’agit d’un acte politique lourd de conséquences. Ce n’est ni un dérapage rhétorique ni une divergence d’interprétation historique : c’est une négation identitaire qui ouvre la porte à toutes les dérives.
Dans de nombreux contextes, la remise en cause de l’existence même d’un groupe constitue l’un des piliers fondamentaux des idéologies génocidaires, comme l’ont établi plusieurs juridictions internationales. Ce discours n’est pas isolé. Par le passé, Agathon Rwasa figure majeure de la politique burundaise avait tenu des propos appelant à « éliminer » les Tutsi de la région. Le FLN, mouvement dont il a longtemps été proche, avait d’ailleurs revendiqué le massacre de Gatumba en 2004, cible clairement choisie pour son identité banyamulenge.
L’enchaînement est clair : marginalisation, stigmatisation, déshumanisation, puis violence ciblée.
Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, qui a qualifié de génocide le massacre de Srebrenica, a établi que l’anéantissement d’un groupe peut se manifester non seulement par des tueries massives directes, mais aussi par des politiques cumulatives : encerclement, privation de ressources essentielles, destruction des villages, élimination systématique des hommes en âge de combattre, terreur organisée et impossibilité de survivre en tant que communauté. Ces critères résonnent aujourd’hui douloureusement avec la situation observée dans les hauts plateaux du Sud-Kivu.
Au regard de ces éléments blocus militaire, privation humanitaire, destruction d’habitations, pillage économique, discours de négation identitaire et propos appelant à l’élimination d’une communauté il devient de plus en plus évident que les Banyamulenge sont exposés à un danger grave, immédiat et potentiellement exterminateur.
Lorsque les conditions objectives s’alignent ainsi autour de la destruction partielle ou totale d’un groupe en tant que tel, la communauté internationale et les institutions régionales ont la responsabilité de nommer les faits avec clarté et d’intervenir avec fermeté.
Ignorer ces signaux reviendrait à permettre la répétition de tragédies qui ont déjà marqué l’histoire des Grands Lacs.
Ce qui se joue à Minembwe dépasse la simple rivalité géopolitique entre le Burundi et la RDC : c’est la conscience de toute une région, et peut-être l’honneur de l’histoire récente, qui se trouvent aujourd’hui interpellés. Un silence, une ambiguïté ou une inertie face à ces événements seraient, une fois encore, les complices du pire.






